A Caojing (sud de Shanghai), se dresse en bord de mer un complexe métallique hérissé de citernes et cheminées. Des dizaines de pipelines suivent la route, telle une portée musicale pour le bal des semi-remorques. Partout, caméras et postes de garde rappellent que la zone est sous haute surveillance : c’est le SCIP, éco-parc chimique de Shanghai, créé en 2001.
L’emplacement du SCIP, sur 30km² en baie de Hangzhou, à moitié reconquis sur la mer, a été choisi en zone marécageuse, peu peuplée, limitant ainsi les risques. Autre atout, les vents de terre, prêts à disperser des effluents vers le large, en prévention d’accidents.
Lors de la phase de conception, des experts furent envoyés aux parcs chimiques les plus avancés, d’Anvers, du Texas, de Singapour, pour en capter les meilleures idées.
L’objectif était de connecter sur un même site, 40 groupes industriels chimiques chinois et mondiaux, pour leur faire échanger leurs sous-produits. Avec un tel circuit, le « rebut » de l’un devenait ainsi la « matière 1ère » de l’autre.
Par rapport à la génération précédente de parcs chimiques, ce « cercle vertueux » faisait reculer les risques et gaspillages. De la sorte, les profits étaient maximisés et les déchets minimisés.
L’intégration permet de produire les produits dangereux et de les recombiner immédiatement, sautant les étapes du stockage et du transport. Le phosgène par exemple, le « gaz moutarde » de sinistre mémoire, est produit sur un site, puis acheminé par pipeline vers un autre site de la zone où il est transformé en polyuréthane inoffensif. En France par contre, il doit être stocké et transporté en des conditions de sécurité lourdes et onéreuses.
Une autre règle du parc, est de disposer sur tout site de bassins retenant les eaux de pluie au moins 15 minutes le temps de les analyser. En cas de pollution, les autorités peuvent les canaliser vers la station d’épuration (JV de Suez Environnement), évitant la pollution du système aquatique. Une fois les bassins pleins, et après analyse par le producteur, les autorités autorisent le déversement en mer – après avoir vérifié la pureté, par leur propre, second test.
Dans le même souci de protection de l’air, des capteurs sont postés à travers le parc, reliés à un PC central qui peut détecter en temps réel des émissions d’effluents. A la moindre alerte, même bénigne, le PC contacte le site responsable. Et au cas fort théorique (ce n’est encore jamais arrivé) où l’industriel resterait silencieux, quelques minutes suffiraient pour que le parc bloque tous ses circuits, pompes, fours ou tours de distillation. En cas de crise sérieuse, trois casernes de pompiers de la zone et l’hôpital de proximité sont en alerte permanente, prêtes à intervenir.
Les normes sont même plus strictes qu’en Allemagne. Chaque année, des exercices de sécurité sont lancés pour vérifier la réactivité des groupes à tout type d’accident. Chacune des usines est aussi auditée par une armée de 20 inspecteurs, douaniers, policiers, bureaux des transports, de l’environnement… C’est la tolérance zéro, où tous les équipements et les documents sont épluchés.
Ce qui n’empêche le parc, après 14 ans d’existence, d’afficher complet : une des rares zones encore vide, est réservée au déménagement en 2018 d’un parc désormais trop à l’étroit, Waigaoqiao. Déjà installée au SCIP, une JV BP-Sinopec craque 900.000 tonnes d’éthylène par an (volume énorme, suffisant aux besoins d’une nation moyenne européenne) aux côtés de Bayer (polycarbonates, polyuréthanes) ou Dupont (pesticides), BASF, entre autres.
On peut s’étonner du titre d’éco-parc octroyé au SCIP : il est dû à ses exigences en émissions d’effluents, mais aussi à un projet très articulé de partager ici l’espace entre nature, ville et industrie. Lors du design du SCIP, les experts ont constaté dans les parcs chimiques mondiaux de l’époque, la montée inévitable après quelques années du mécontentement des riverains. La cause de cette grogne était toujours la même : en grandissant, la ville venait grignoter le sol aux portes de la zone chimique. Aussi pour prévenir ces conflits de voisinage, le parc a acquis des zones « tampon » autour de son périmètre, et les a interdites pour tout usage, sauf pour jardinets et potagers (pour ceux-ci, il cède gratuitement des lopins aux citadins et paysans), golf et promenades.
Combiné à l’incroyable sévérité en termes de rejets polluants, le résultat est inattendu : ni smog, ni odeurs fétides, et un écosystème prospère de grenouilles, canards, larves, hérons et autres migrateurs. Bassins et voies d’eau sont si poissonneux, que les autorités ont été obligées, pour protéger la faune, de placarder « pêche interdite », comme si elles étaient un parc de loisirs. Un comble, pour un parc industriel chimique !
Le portrait peut sembler idyllique. Mais il faut se rappeler qu’on est à Shanghai, métropole à la pointe de la technologie et de la finance. En chimie comme en d’autres secteurs, la « tête du dragon » ne vise rien de moins que le leadership mondial. On peut douter que les 51 autres parcs chimiques du pays puissent se mesurer au SCIP.
La suite de ce reportage la semaine prochaine : « Survol de SITA, une zone produits dangereux »
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