Petit Peuple : Kaihua (Zhejiang) – La saga du trésor caché (1ère partie)

L’aventure qui suit débute il y a 100 ans. Selon la tradition de nos « Petit Peuple », la seconde partie (à paraître au n°27-28) relate des faits avérés et connus. Toutefois cette 1ère partie, si ancienne, n’a pu éviter d’emprunter à la conjecture et à l’imaginaire.

En 1915, sous Yuan Shikai l’« empereur » autoproclamé, Wang Dali, fermier de 29 ans vivotait du sorgho de ses lopins, de pêche et cueillette, qu’il revendait au marché de Kaihua (Zhejiang). C’était une époque dure, sous la menace des brigands et des taxes des seigneurs de guerre.

Une nuit d’octobre étoilée, revenant de pêche sa besace pleine d’anguilles, traversant une clairière, Dali tomba sur les vestiges d’un guet-apens meurtrier. 8 corps gisaient exsangues : 3 en haillons, visages noircis de suie (les assaillants), 4 mieux habillés, qui entouraient une chaise à porteurs. Jusqu’au bout, l’escorte avait tenté de protéger son chef, un dignitaire richement vêtu en bonnet et tunique de brocart de soie. D’abord surpris par les tirs meurtriers des malfrats, les gardes du corps avaient chèrement défendu leurs vies, ripostant à coups de revolvers et de sabres. Mais nul n’avait survécu. 

Effrayé mais n’ayant rien perdu de sa jugeote, Wang avait pensé fouiller la chaise : sous le cuir du fauteuil, il avait trouvé un boitier de fer cylindrique, renfermant de brillantes pièces d’argent par dizaines, à l’effigie d’un homme au cou épais et profil adipeux. C’étaient les célèbres dollars « grosse tête » de Yuan Shikai. Wang avait mis la main sur un trésor !

Fiévreusement, il rangea les pièces dans l’étui, qu’il mit à l’abri parmi ses anguilles encore bien vives. Puis il rentra à sa ferme à deux jets de pierre du village. Sans perdre un instant, il se mit à l’œuvre pour cacher son butin : dans le linteau de sa porte Est, juché sur un escabeau, il creusa le ciment tendre, descellant les pierres une à une pour évider une niche, y déposant le boîtier. Il recimenta le mur en un joint indétectable, puis partit finir sa nuit dans son lit. Le lendemain à l’aube, il se leva et repartit d’un pas leste, comme si de rien n’était, au marché vendre sa pêche… 

Dali tirait des plans sur la comète : quand sa femme reviendrait de Ningbo (chez sa sœur, avec Xiaopeng et Xiaoli, leurs garçonnets de 5 et 3 ans), il lui dirait tout. Au bout d’un mois, l’émoi du massacre une fois retombé, ils fileraient en douce pour Ningbo, prendraient la mer pour Jiujinshan (旧金山 « la vieille montagne d’or », San Francisco), avec dans leurs balluchons assez d’argent pour refaire leur vie. 

C’était compter sans l’arrivée trois jours plus tard au bourg, d’une escouade de 40 hommes aux muscles noueux et aux yeux lançant des éclairs, dirigés par un homme maigre au regard rusé et sans pitié. Le chef de la mission décimée dans l’embuscade était lieutenant de la triade « Verte » de Shanghai, au service commandé de l’empereur. Sa mission était de se rendre à Fuzhou pour y tuer un démocrate, opposant politique. Les dollars dans la boite était sa paie, pour le contrat. Aussi la police secrète, à présent, était aux trousses du larron pour récupérer le magot. 

Mais malheureusement, Dali ignorait que les enquêteurs suivaient sa trace chaude, suite à une bévue qu’il avait commise, bientôt fatale : mettant la boite parmi ses anguilles, il en avait laissé fuir une, partie mourir un peu plus loin. La retrouvant le lendemain, les limiers en avaient tiré les conclusions qui s’imposaient. « Qui avait vendu des anguilles au marché le lendemain ? », avaient-ils demandé à Kaihua de porte en porte. Suite à quoi les langues se déliant, Dali s’était retrouvé ligoté en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. 

Sa seule chance eût été de rendre l’argent de suite. Mais trop déterminé à prendre ce risque au nom d’une vie nouvelle pour lui et les siens en Amérique, il était mort sans avouer, sot héroïque, après des heures sous la torture. Puis, les agents secrets avaient retourné sa ferme de fond en comble avant de repartir gros Jean comme devant !

Deux jours après, sa veuve, de retour, ne put que le pleurer, l’enterrer, et poursuivre sa vie avec les garçonnets, sans se douter de la fortune posthume que Dali lui laissait. Elle décéda en 1940. 

Homme simple, Xiaopeng son aîné passa sa vie à Kaihua, tandis que le cadet Xiaoli migrait sur Ningbo. Après le décès de la femme de Xiaopeng dans les années ‘90, le comité du village prit en charge le vieillard sans ressources, jusqu’à sa mort en 1999.

Etant resté sans enfants, sa maison fut redistribuée à Wang Shima, son neveu (fils de Xiaoli), et en 2008, Wang la céda à Zhan Xinlong, simple paysan, qui l’habitat. 

En janvier 2015, Zhan se mit en tête d’abattre la bicoque pour la rebâtir en plus confortable. C’est là que les maçons tombèrent, caché dans la niche du linteau-Est, sur l’étui de fer à peine rouillé, frais et clinquant après son siècle de sommeil. Devant leurs yeux médusés rutilaient 128 pièces de l’an III de la République, pouvant atteindre, selon les numismates, 30.000 euros au total, à 250 euros la pièce. 

Impossible à taire, cette découverte fit alors exploser la paix du village. Comment Zhan Xinlong allait-il pouvoir défendre sa « fortune tombée du ciel » (tiān jiàng hèngcái , 天降横财), alors que dès à présent, sortant de l’ombre, tant d’autres voix s’élèvent pour faire valoir leurs droits au trésor ? 

Vous le saurez en lisant la suite, la semaine prochaine !

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