À Tangshan (Hebei), l’usine CNR, base arrière du TGV chinois, frappe par son immensité, 75.000m² en une série de halles dont on ne voit pas la fin, toutes remplies de trains et wagons de différents modèles, à différents stades de construction. Certaines disposent de bancs d’alésage, de presses de 30m de long, d’autres de fours et de robots soudeurs. Ce n’est qu’en phase finale, après la pose des bogies et moteurs, que les rames avancent sur leurs roues : avant, elles sont tractées par pont élévateur.
On ne peut aussi que remarquer l’esprit quasi-militaire qui tient lieu de culture d’entreprise. Devant chaque rame, un garde est posté, discret et souriant, mais prêt à écarter le visiteur. CNR reste aussi discret sur les chiffres, qu’il dévoile au compte-gouttes, et avec flou artistique. On croit sentir, chez ces cadres chargés de présenter le groupe, deux désirs antinomiques : celui de communiquer et celui de se taire, pour rester fidèle à la fois à l’esprit de mondialisation et à la discipline socialiste.
Cette discrétion se relâche toutefois sur les murs de l’usine où s’affichent des slogans grandiloquents (cf photo) en chinois et même en anglais : les travailleurs sont appelés à être virtuoses de la technique, « trempés comme l’acier dur pour être n°1 sur un million », ou « hurler sans hésitation les instructions techniques ».
Sous bien des aspects (équipements, performances), CNR-Tangshan est bien un complexe de classe mondiale. Il est sur tous les créneaux, du bogie surbaissé à la rame pendulaire, du matériau composite à l’acier inox ou acier carbone.
Etonnante, la halle où se pressent les parois à double coque d’aluminium pour l’isolation sonore, thermique et anti-vibrations. CNR s’en défend, mais ce train est le petit frère consanguin du Velaro de Siemens qui maintint à Tangshan ses ingénieurs durant des années. CNR avait racheté 3 rames, avec plans et droit de reproduction.
Présenté en film 3D, le dernier modèle CR380B est remarquable, atteignant 380km/h (si la voirie peut le supporter), doté d’une classe « affaires » (siège-lit, tablette, TV individuelle, wifi). Ces trains sont conçus pour durer 20 ans.
Tangshan produit 600 TGV de 16 wagons (1053 places) par an , et en rénove 2000. En ses ateliers de Changchun, Pékin et Tianjin, CNR maintient un réseau productif dont chaque unité est curieusement indépendante des autres, quoiqu’assurant à peu près les mêmes modèles, trains passagers conventionnel, marchandises, tram et métro.
Il exporte vers 84 pays : les premières des 100 rames « Intercity » commandées par le Brésil pour les JO 2016, et 34 rames de métro débarquaient au port de Rio le 27/01. Le même jour, CNR décrochait aussi le contrat pour 487 wagons de métro de Boston.
Mais il faut bien dire, telles qu’annoncées par le vice CEO Yu Weiping, les commandes étrangères tardent à venir : la collision de TGV de 2011 près de Wenzhou (35 morts suite à une collision) lui colle à la peau.
CNR n’a placé en 2014 que 3 milliards de $ de contrats hors frontières : « +68% », dit CNR, mais à l’échelle chinoise, c’est peu.
Yu l’admet aussi, la fusion imposée avec le rival du Sud CSR est au point mort : « un groupe de travail a été nommé … pour régler les problèmes ». Enfin CNR « est acquéreur de technologies étrangères » – aveu que même après 10 ans d’efforts de rattrapage tous azimuts, il reste en retard sur le niveau international.
Ces messages sont finalement tout sauf triomphants : ils font le contrepoint du volontarisme agressif des slogans bombés aux murs, et à l’intention affichée, à long terme, d’emporter tous les marchés du monde pour finalement contraindre les ténors actuels du secteur (Siemens, Alstom, Bombardier) à se laisser racheter.
Un tel décalage entre l’humilité des constructeurs, et l’enthousiasme des leaders, rappelle l’opinion d’un équipementier étranger : « nos partenaires chinois, ingénieurs et constructeurs aimeraient bien travailler avec nous… partager le marché. Ce serait un chemin plus sûr pour apprendre, avancer et éviter les gros pépins. Ce serait aussi plus équitable vis-à-vis des étrangers auteurs de ces technologies, héritage de décennies de recherche. Mais ce sont leurs chefs, les politiciens qui refusent : ils rêvent toujours d’emporter la mise ».
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