Le 20 janvier, quand le Conseil d’Etat publia son bilan économique annuel, le monde sut que le pays était engagé dans une ère de croissance plus faible, dite « nouveau normal », selon le 1er ministre Li Keqiang. Avec un PIB de 63,65 trillions de ¥, la
croissance chinoise a ralenti à 7,4%, taux le plus bas depuis 24 ans. <p>L’immobilier vit l’investissement reculer de 9% et ses prix de 4,3% (dans 68 villes sur 70). Mais les ventes augmentèrent de 9% en chiffre d’affaires : les promoteurs déstockèrent pour survivre, réduisant ainsi le risque d’explosion de la bulle, et favorisant l’objectif de l’Etat d’un marché immobilier plus accessible aux masses.L’industrie vit ses profits chuter à 3,3%, plus bas taux depuis 2008. A 5,52 trillions de KW/h, l’électricité vit son usage progresser de 3,8% – c’est très peu. La houille, pour la 1ère fois en ce siècle, recule de 2,5%, à 3,52 milliards de tonnes (sur 11 mois). Les échanges extérieurs n’atteignirent que 3,4%, moitié de l’objectif visé, et l’inflation (signe de santé de la consommation intérieure) ne fit que 2%, quand l’objectif était 3,5%.
Cause n°1 de l’essoufflement : l’endettement des pouvoirs locaux qui contournent depuis 10 ans les consignes d’austérité et empruntent via leurs 8000 « véhicules financiers locaux ». Leur dette, en juin 2013, fait 2900 milliards de $ et 67% de plus qu’en 2010.
Pour cet expert officiel cité par Reuters en 2014, près de 7000 milliards de $ de tels fonds avaient été investis sur 5 ans à perte. Leur remboursement doit être réalisé par roll-over d’emprunts frais : 50% de la dette nouvelle ne sert qu’à payer les intérêts des anciens, faisant frein puissant à la croissance. Pour le FMI en 2014, la dette publique fait 36% du PIB, contre 18% en 2008. Au rythme actuel, elle dépassera 52% du PIB dès 2019.
Nonobstant, pour poursuivre le programme de décollage économique, les villes doivent continuer leur programme d’équipement. Wuhan (Hubei) investit 800 milliards de ¥ de 2012 à 2016, dans 6 lignes de métro, trois ponts suspendus sur le Yangtzé et un aéroport.
Décidé en octobre 2014, un plan de désendettement des provinces démarre. Chacune a d’ores et déjà reçu un plafond annuel d’emprunt. Tout dépassement par les « véhicules » est soumis à permis spécial, qui ne sera accordé que rarement. Deux types de financement seront favorisés pour délester les finances locales :
– les projets sous financement central, tels les hôpitaux et les parcs ;– les équipements en BOT (Build, Operate, Transfert), typiquement pour la distribution de « commodities » urbaines et le retraitement de déchets. Confiés aux groupes publics ou privés, supposés « rentables », ils se paient sur une concession de 15 à 30 ans.
Enfin, cette dernière provision du plan, si appliquée, fera effet sismique dans l’économie chinoise : le droit à la faillite. La province va renoncer à la pratique confortable (pour les groupes en difficulté) et ruineuse (pour le tissu social) du « repêchage » aux frais de l’Etat.
Résultat de ce plan tel qu’attendu par la Deutsche Bank en 2015, le revenu fiscal total augmenterait d’1%, et celui des pouvoirs locaux baisserait de 2%, les ventes foncières (source de plus d’un tiers de leurs revenus) chutant de 20%.
C’est sans doute en lien avec ce plan que sont dus les deux dernières mesures financières du Conseil d’Etat. Par le biais des organes tutélaires spécialisés, il interdit aux banques (8/12) le prêt sur hypothèques à bas taux. Puis (19/01), il bannit aux banques et maisons de courtage le prêt aux comptes crédités de moins de 500.000 yuans. Ceci, afin de décourager la spéculation qui, en 12 mois, a fait fuser la bourse de Shanghai de 67%.
Un petit signe se produit alors, indice à la fois d’une efficacité du plan, et des risques qu’il ouvrira, en cas d’une trop grande réussite : le 26/01, Yan Jiehe, à la tête de CPCG (groupe privé de génie civil ) porte plainte contre 6 pouvoirs locaux pour impayés. Ni les accusés, ni les dettes en souffrance ne sont publiés, mais Yan assure qu’au vu de la loi et du dossier, il est certain de gagner.
L’Etat laisse faire, confirmant la volonté de forcer les provinces à changer de train de vie. A Wuhan cependant, vrombissante de grues et engins, les plans d’austérité de Pékin semblent émaner d’une autre planète et restent ignorés : plus de 1000 projets immobiliers se construisent jour et nuit, vendus à peine annoncés. « La crise, connais pas » !
Ce qui pose un vrai problème de cohérence entre les objectifs de l’Etat central, qui sont contradictoires :
– maitriser la dette. Eviter qu’elle n’étouffe la confiance du secteur privé est un impératif absolu, sous peine de subir l’explosion d’une bulle immobilière et de tous les secteurs perclus de rivalité entre les provinces, et de capacités excédentaires. Mais l’effort sera douloureux : Wei Yao, analyste à la Société Générale, estime à –0,7% le poids de ce plan de désendettement sur le PIB.
– faire passer la population urbaine de 52,6% (fin 2012) à 60% d’ici 2020 moyennant l’accueil de 60 millions de migrants nouveaux d’ici là, est un impératif auquel le pays ne peut renoncer. Pour cela, il faudra d’autres dizaines de millions d’emplois nouveaux par an, des hôpitaux, écoles, logements, routes et aéroports. Et donc, d’autres emprunts des gouvernements régionaux et municipaux.
Comment sortir de ce cercle vicieux ? Nous présenterons et analyserons le grand plan central de redéploiement économique, au prochain numéro.
Sommaire N° 4 (XX)